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Livre. C’est un passionnant voyage dans l’histoire, une exploration méthodique des méandres du droit, une réflexion approfondie sur la notion de témoignage et une puissante analyse de ce que représente l’inceste. Dire, entendre et juger l’inceste du Moyen Age à nos jours est un ouvrage collectif qui, tel un puzzle, permet de comprendre, chapitre après chapitre, pourquoi ce crime creuse un « abîme dans la psyché de l’enfant victime », selon le mot de la sociologue Irène Théry. Qu’ils soient historiens, sociologues, anthropologues, psychanalystes ou magistrats, les auteurs, comme le souligne l’historienne Caroline Callard, parviennent à faire de l’inceste une « chose qui puisse se dire et se penser ».
Coordonné par deux historiennes (Anne-Emmanuelle Demartini et Julie Doyon) et une anthropologue (Léonore Le Caisne), ce livre explore les multiples facettes d’un crime qui, selon une enquête Ipsos de 2020, concerne un Français sur dix – 80 % sont des victimes sont des femmes.
Il n’existe pas un, mais des incestes, préviennent d’emblée les chercheuses : le terme désigne à la fois une règle – le code civil dispose qu’on ne peut épouser son père, sa mère, son frère, sa sœur, son oncle, sa tante ou ses neveux – et sa transgression – le code pénal prévoit des sanctions pour les abus sexuels sur mineur, qu’ils soient, ou non, commis au sein d’une même famille.
L’un des grands mérites de cet ouvrage collectif est de réinscrire l’inceste au cœur de la longue histoire des représentations sociales. Dans le monde profondément religieux qu’était le XVIIIe siècle, l’incestum, qui signifie en latin « non chaste » ou « impur », n’était pas considéré comme une agression sexuelle imposée à un enfant par un membre de sa famille, mais comme un péché relevant du vice et de la luxure. On ne distinguait d’ailleurs pas, à l’époque, le criminel de sa proie : au Moyen Age comme sous l’Ancien Régime, ce « crime sans violence sexuelle » et « sans victimes », souligne Julie Doyon, embrassait l’adulte et l’enfant « dans une même faute et une même culpabilité ».
Le regard sur l’inceste a profondément changé au cours des siècles, comme le montre de manière saisissante un article de la sociologue Sabine Chalvon-Demersay consacré à l’adaptation télévisée du roman de cape et d’épée Le Bossu. A la sortie de l’ouvrage, en 1857, comme lors de ses adaptations de 1912, 1925, 1934, 1944, 1959, 1967 et même 1997, le mariage du chevalier et d’Aurore, la jeune fille qu’il avait recueillie, enfant, apparaissait comme un dénouement heureux. En 2003, pourtant, il suscite un profond malaise : après de longs débats, les scénaristes font s’épouser le chevalier et non pas Aurore, mais sa mère. La sociologue voit dans cette réécriture le signe du « changement des sensibilités morales » sur l’inceste.
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